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Grindr: l’art de ne pas se rencontrer épisode 1

J’ai téléchargé Grindr. Au départ, j’étais emballé — la promesse de rencontres à quelques kilomètres de chez moi, avait quelque chose de grisant, presque magique. Puis, j’ai déchanté. Rapidement. Très rapidement. Le glamour numérique s’est dissous dans une soupe fadasse de “Salut ça va ? tu ch koi?” sans conjonction de coordination, de profils sans chair, d’échanges aussi profonds qu’un puddle londonien, et d’adieux silencieux après trois bulles jaunes. Grindr, c’est un peu comme une promenade au supermarché: les rayons sont pleins, mais l’inflation… alors tu te rabats sur les coquillettes et le tube de concentré de tomate du placard.
Ce que Grindr promet, ce n’est pas le sexe, encore moins la rencontre — c’est une simulation de disponibilité, une illusion de proximité, un mirage d’intimité. Un désir à portée de pouce. Un monde peuplé de profils, de torses filtrés, de statuts secs : “top only”, “no fats no fems”, “looking now”. Un monde où l’on est censé se sentir vu, voulu, convoité. Mais plus on scrolle, plus on se dissout.
Grindr n’est pas une application de rencontre : c’est un théâtre. Un espace performatif où chacun joue son rôle, répète sa partition, espère un regard, un clic, un corps. Et dans cette répétition infinie, rien n’advient. Grindr est une machine à différer, à repousser l’événement, à étirer l’attente jusqu’à l’épuisement. Le sexe y est une promesse sans cesse repoussée, un climax toujours annoncé, jamais vécu. C’est un porno d’interfaces, un edging algorithmique.
La « rencontre » devient comme une fonction. Une ligne de code. Limite un bug potentiel. On ne cherche plus une personne, on cherche un statut : “clean”, “Bi discret”, “versatile”, “Hung”. L’humain est dissimulé sous des catégories, des abréviations, des émojis. L’identité s’efface derrière la lisibilité. Et ce qui s’exprime là, ce n’est pas la singularité de mon désir, mais son formatage. Tu veux bander ? Alors joue le jeu : une photo nette, un bon ratio, une distance raisonnable, une punchline ironique. Tu n’es plus un corps : tu es une interface.
Mais ce profil, c’est déjà un piège. Un avatar, un masque. Derrière lui, souvent, rien. Un fantôme. Un silence. Un refus. Grindr, c’est surtout ça : la prolifération du vide. Une économie de l’absence. Une bibliothèque de trous fantômes.
Ca fait une semaine que tous les soirs je bande et mouille numérique. Frustré, déprimé, je déconecte. Il doit me rester un peu de Bromazépam.
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